Par delà l’innovation, maintenir et faire durer

Focalisés sur les dynamiques d’innovation, les Science and Technology Studies ont laissé de côté l’aspect le plus ordinaire des assemblages sociotechniques, négligeant les activités dédiées à assurer leur stabilité et leur persistance. Depuis quelques années, ces activités ont pourtant pris une importance grandissante. Avec l’aggravation de la crise climatique, et l’amplification des crises sanitaires, les questions liées à la soutenabilité, à la continuité de l’activité, et à la durée de vie des choses et des personnes se sont progressivement imposées en contrepoint des obsessions pour l’innovation et de la figure omniprésente de la disruption. Que peuvent nous apprendre ces préoccupations du mode d’existence des dispositifs scientifiques et techniques, au-delà des processus d’innovation ? Comment, dans différents domaines, les conditions de la permanence et de la durabilité s’organisent-elles ? De quelle façon le temps et les futurs sont-ils problématisés ?

Prolongeant les travaux sur les dispositifs de valorisation, les recherches menées sur l’histoire et l’usage de la technique comptable de l’actualisation du futur (discounting) montrent comment la durée et le long terme se sont progressivement vus problématisés sous l’angle de l’investissement. L’actualisation amène à penser le temps sous la forme d’une dépréciation dont il est crucial d’interroger les fondements à la fois techniques et politiques.

Le CSI compte parmi les lieux où ont récemment émergé les Maintenance and Repair Studies, domaine de recherche interdisciplinaire qui explore la variété des activités dédiées à l’entretien des objets techniques, depuis les petits objets de consommation quotidienne jusqu’aux infrastructures les plus complexes. Il explore en particulier depuis quelques années les enjeux politiques, techniques et matériels de la maintenance urbaine. Plus récemment, le CSI a initié un partenariat de recherche avec l’Institut pour la recherche appliquée et l’expérimentation en génie civil (IREX) et Routes de France pour étudier les transformations contemporaines de la gestion patrimoniale des infrastructures de transport.

L’une des particularités des travaux du CSI sur ce sujet tient à leur volonté de ne pas séparer artificiellement ce qui relève de la maintenance des choses d’un côté et du soutien aux humains de l’autre. L’enjeu est au contraire de questionner les modalités du soin au sens large du terme, qui mêle soin des artefacts, soin de l’environnement et soin des personnes.

Projets

GESPARE – La gestion patrimoniale des réseaux d’eau en France

Résumé / Summary
La loi « Grenelle II », ainsi que le décret du 27 janvier 2012 ont fait de la gestion patrimoniale des réseaux d’eau un enjeu national. Depuis le début des années 2000, quelques études quantitatives en esquissent le portrait à grands traits, pour un réseau total dont le dénombrement des linéaires de canalisations reste approximatif (entre 780 000 et 980 000 kilomètres selon les études), tout comme les données concernant les matériaux ou les dates de pose. À un niveau national et macro, on sait finalement peu comment la gestion patrimoniale s’organise concrètement dans les territoires. C’est l’objectif de l’étude GESPARE que d’apporter des éléments complémentaires à ce diagnostic sur l’état des réseaux et de documenter la réalité des pratiques de gestion patrimoniale localisées. Elle est menée dans un double contexte : la mise en œuvre progressive des recompositions territoriales de la loi NOTRE qui voient les intercommunalités prendre la compétence de la gestion de l’eau (accompagnant la diminution du nombre de service d’eau potable engagée depuis 2010, et passant de 15 367 à 11 263 syndicats d’eau potable entre 2010 et 2017), et la tenue des Assises de l’eau. Les premières représentent à la fois des opportunités et des épreuves pour la mise en œuvre d’une politique de gestion patrimoniale, tandis que les secondes ont été l’occasion de rendre publics certains débats et d’expliciter certains arguments quant à ce que le terme gestion patrimoniale recouvre. Cette étude vise plus particulièrement à identifier des points de vigilance pour le déploiement d’une gestion patrimoniale ambitieuse et à recenser les initiatives pertinentes et les bonnes pratiques mises en œuvre dans ce sens. Son but est donc de saisir la diversité des enjeux aujourd’hui attachés à un domaine encore en phase de constitution et de documenter des cas précis, au plus près de leurs spécificités, afin de bien coller au caractère éminemment local de la gestion de l’eau. Organisée en deux phases distinctes, l’une à l’échelle nationale, l’autre consacrée à la réalisation d’études de cas locales, l’étude s’est appuyée sur une méthodologie d’enquête qualitative dans la lignée de l’ethnographie institutionnelle développée par Dorothy Smith et ses collègues. Cette enquête a consisté en une analyse critique des bases de données existantes une étude de la documentation publique et des rapports d’expertise dans le domaine, de entretiens approfondis auprès d’acteurs variés et d’observations participantes lors de deux salons de la gestion locale de l’eau et au sein de deux groupes de travail des Assises de l’eau.

GESPARE – Asset management of water networks in France

The « Grenelle II » law and the 27 January 2012 decree have made asset management of water networks a national issue. Since the beginning of the 2000s, a few quantitative studies have sketched a broad picture of a total network for which the number of kilometers of pipes remains approximate (between 780,000 and 980,000 kilometers according to the studies), as do the data concerning materials and installation dates. At a national and macro level, little is known about how the asset management is organized in practice in the territories. The aim of the GESPARE study was to provide additional elements to this diagnosis of the state of the networks and to document the reality of localized asset management practices. It has been carried out in a dual context: the gradual implementation of the territorial reorganization of the NOTRE law, which has led to inter-municipal authorities taking on the responsibility for water management ( along with the reduction in the number of drinking water services since 2010, from 15,367 to 11,263 drinking water syndicates between 2010 and 2017), and the holding of the Assises de l’eau [a consultation body of local elected officials and water stakeholders at the national level and through the basin committees at the local level]. The former represent both opportunities and challenges for the implementation of an asset management policy, while the latter have provided an opportunity to publicize certain debates and clarify certain arguments as to what the term asset management refers to. More specifically, this study aims to identify vigilance points for the deployment of ambitious heritage management and to list the relevant initiatives and good practices implemented in this respect. Its aim is therefore to grasp the diversity of the issues currently associated with a field that is still in the process of being set up and to document specific cases, as close as possible to their specific features, in order to reflect the eminently local nature of water management. Organized in two distinct phases, one on a national scale, the other on a local case study basis, the study was based on a qualitative research methodology in the tradition of institutional ethnography developed by Dorothy Smith and her colleagues. This investigation consisted in a critical analysis of existing databases, a study of public documentation and expert reports in the field, in-depth interviews with various stakeholders and participant observations during two local water management events and within two working groups of the Assises de l’eau.

Contact : Jérôme Denis

L’effacement des graffiti à Paris

Résumé / Summary
Cette enquête sur la politique d’effacement des graffitis à Paris s’inscrit dans un programme de recherche sur les liens entre la maintenance urbaine et la régulation des inscriptions publiques. Elle documente plusieurs dimensions à l’œuvre dans la pratique d’effacement conçue explicitement comme une activité de maintenance au tournant des années 2000 à Paris. L’enquête complète le nombre grandissant de travaux consacré aux politiques d’éradication ou de valorisation des graffitis en milieux urbains par une ethnographie détaillée des conditions concrètes de leur effacement, qui demeurent encore largement inexplorées. Pour cela, les investigations consistent en des observations directes des interventions d’effacement et mobilisent un ensemble de documents (décrets municipaux, appels d’offres, contrats, mais aussi discours du maire au Conseil de la ville, et textes plus théoriques de doctrine), ainsi que des entretiens auprès des acteurs qui participent à cette activité d’effacement au sein de la municipalité et des deux principales entreprises prestataires qui en ont la charge. Cet éclairage sur les modalités d’organisation de l’effacement des graffitis dans les espaces urbains opère une revisite des fondements épistémiques de l’ordre public promu par les politiques d’effacement des graffitis au niveau international, et comment leur déclinaison concrète dans le programme spécifique de la ville de Paris installe un type de maintenance urbaine bien particulier. Appréhendé comme une politique matérielle qui s’instaure dans des techniques spécifiques, le travail d’effacement apparaît comme une activité qui participe pleinement du devenir matériel de la ville. Loin d’une simple opération mécanique ramenant les façades à leur état initial et les figeant dans le temps, il contribue activement, par les transformations matérielles qu’il engendre, à la vitalité de l’écologie urbaine.

Graffiti Removal in Paris

This inquiry into the graffiti removal policy in Paris is part of a research program on the relationship between urban maintenance and the regulation of public inscriptions. It documents several dimensions at play in the practice of removal, which has been explicitly designed in Paris at the turn of the century as a maintenance practice. The research complements the growing body of work on the policies of eradication or valorization of graffiti in urban environments with a detailed ethnography of the concrete conditions of their removal, which remain largely unexplored. To do so, the investigations draw on direct observations of the clearing operations, a set of documents (municipal decrees, calls for tender, contracts, but also speeches by the mayor to the City Council, and more theoretical writings of legal authors), and interviews with the actors involved in this removal activity within the municipality and the two main service providers who are in charge of it. This insight into the organization of graffiti removal in urban spaces revisits the epistemic foundations of the public order promoted by graffiti removal policies at the international level, and how their concrete implementation within the Paris’ specific program enacts a particular form of urban maintenance. Comprehended as a material politics set up through specific techniques, the removal work appears as a practice that fully participates in the material becoming of the city. Far from being a simple mechanical operation that returns facades to their initial state and freezes them in time, it actively contributes, through the material transformations it generates, to the vitality of urban ecology.

Contact : Jérôme Denis, David Pontille

Séminaires

Politiques environnementales du numérique

Ce séminaire est organisé par Clément Marquet (CSI, Mines Paris / PSL, i3) et Sophie Quinton (Inria, GDS EcoInfo), dans le cadre du groupe de travail Politiques environnementales du numérique du GDR Internet, IA et Société. Depuis quelques années, les conséquences environnementales des technologies numériques font l’objet d’une attention croissante remettant en cause la promesse d’une convergence entre transition écologique et transition numérique. En savoir plus »

Maintenir, soutenir : de la fragilité comme mode d’existence

Séminaire de recherche (2017-2019) organisé par Jérôme Denis, Anne-Sophie Haeringer, Antoine Hennion et David Pontille. Le séminaire part d’un constat : la prolifération actuelle de recherches qui traitent du soin, du care, de l’attention. Elles portent sur le climat ou sur Gaïa, sur l’art de réparer les objets ou de conserver des œuvres, sur la maintenance des réseaux techniques […] En savoir plus »

Thèses 

Thèses en cours

Hafid Ait Sidi Hammou, Le rôle des données dans la maintenance durable des réseaux publics

Roman Solé-Pomies, Gestion patrimoniale et anticipation des nouveaux usages : quelle gouvernance locale pour des infrastructures routières durables ?

Solène Sarnowski, L’accompagnement numérique des enquêtes des personnes vers la transition écologique

Thèses soutenues

Evan A. Fisher, 2020, L’humanitaire au présent. Localiser les choix globaux de Médecins Sans Frontières

Mathieu Baudrin, 2018, Maintenir la technologie aérosol et son industrie : une enquête sur les collectifs industriels (1958-2017)

Publications

Jérôme Denis et David Pontille, 2022, Le soin des choses. Politiques de la maintenance. La Découverte.

Clément Marquet, 2021, Rendre accessible par les données. Cartographies amateures et politiques d’accessibilité des transports, in Noémie Rapegno, Cristina Popescu (dir.), Géographies du handicap, Maisons des Sciences de l’Homme Associées.

Jérôme Denis, David Pontille, 2019, Why do maintenance and repair matter?, in Anders Blok, Ignacio Farías, Celia Roberts (Eds.), The Routledge Companion to Actor-Network Theory, Routledge, 283-293.

Guillaume Carnino, Clément Marquet, 2019, Du mythe de l’automatisation au savoir-faire des petites mains : une histoire du data center par la panne, Artefact, (11), p.163-190.

Liliana Doganova, 2018, Discounting and the making of the future: on uncertainty in forest management and drug development, in Jens Beckert, Richard Bronk (Eds.), Uncertain futures: Imaginaries, Narratives and Calculation in the Economy, Oxford University Press, 278-297.

Antoine Hennion, 2017, Attachments, you say? … How a concept collectively emerges in one research group, Journal of Cultural Economy, 10 (1), 112-121.