Organisé par le Centre de sociologie de l’innovation (Mines Paris–PSL, Institut interdisciplinaire de l’innovation i3).
Équipe organisatrice : Béatrice Cointe, Kewan Mertens et Alexandre Violle
Ce séminaire porte sur l’étude de la fabrique ou de la mobilisation de savoirs économiques dans leur manière d’informer ou de prescrire des formes d’intervention en matière d’action environnementale.
Les relations entre problèmes environnementaux et la discipline économique ont une longue histoire. Au XIXème siècle, des économistes de premier plan se sont penchés sur la gestion des forêts, des terres arables, et même des oiseaux (Evenden, 1995), contribuant ainsi à produire des prescriptions théoriques, pratiques et morales – par exemple l’idée que les arbres doivent être pensés comme une source de capital à faire fructifier (Vatin, 2008; Doganova, 2014). Dans les travaux de Marx, la gestion des sols agricoles nourrit la théorisation de l’innovation technologique dans les sociétés modernes (Foster, 2000).
Au cours des 50 dernières années, les manifestations du changement climatique et les dégradations environnementales se sont multipliées, et avec elles les connaissances et techniques économiques pour y faire face (Dalmedico & Aykut, 2015 ; Chiapello, Missemer, Pottier, 2021). Des dispositifs de valorisation économique sont ainsi désormais mobilisés dans les procès pour trancher des litiges en matière de pollution (Fourcade, 2011), des marchés carbones sont créés en Europe pour agir sur les stratégies d’émission des industriels (Mackenzie 2009 ; Callon, 2009 ; Ehrenstein & Neyland, 2021), des modèles socio-économiques sont élaborés au sein du GIEC pour débattre des effets du changement climatique (Cointe, Cassen, Nadai, 2019), la transformation des normes comptables des entreprises pour rendre visible les dégradations environnementales est un problème public qui ne cesse de gagner en importance (Bracking, Fredriksen, Sullivan, Woodhouse, 2018), les labels de qualité prolifèrent également dans les marchés pour peser sur les conduites des consommateurs (Laurent & Mallard, 2020).
L’économie semble omniprésente dans l’action environnementale. Mais comment l’expertise économique est-elle produite et mobilisée en pratique ? Et dans quelle mesure les questions environnementales questionnent-elles et renouvellent-elles les approches de l’économie ?
Ce séminaire interdisciplinaire (sociologie, anthropologie, histoire, économie, science politique) cherche à cartographier et analyser les qualités politiques des différents savoirs et techniques économiques tournés vers l’action publique. L’accent sera mis sur la façon dont des acteurs cherchent à agir sur des enjeux environnementaux en les problématisant à partir de concepts économiques, ou encore en fabriquant des dispositifs pour transformer le comportement d’acteurs (citoyens, entreprises, États) face à une problématique environnementale, ou en contestant des problématisations économiques ou non-économiques déjà stabilisées dans l’espace public.
Le séminaire, débuté en 2022/2023, se poursuit donc en 2023/2024 autour de la même thématique. Il prolonge également une discussion ouverte lors de la « NordicSTS conference » autour d’une éventuelle « l‘environnementalisation de l’économie ».
Déroulement du séminaire
Pour chacune des séances nous avons invité deux intervenant·es qui présenteront leurs travaux suivi d’une discussion collective, pour une durée totale de 2h. Le séminaire sera en hybride (sur place/zoom). Venez sur place si c’est possible pour vous, car cela permet des échanges plus intéressants.
Le séminaire aura lieu à l’École des Mines Paris, 60 bd Saint Michel, 75006 Paris.
Le séminaire est ouvert au public sur inscription.
Contact : Béatrice Cointe, Kewan Mertens ou Alexandre Violle
Programme de l’année 2024-2025
29 novembre 2024, 11h-13h
Zonage environnemental, avec Isabelle Arpin (LESSEM, INRAE) et Estienne Rodary (GRED, IRD)
13 décembre 2024, 11h-13h
Gestion de l’eau, avec Léda Dimitriadi (ACS UMR AUSser) et Sophie Tabouret (CIRED, EHESS)
10 janvier 2025, 11h-13h
Discounting, avec Béatrice Cherrier (CREST) et Liliana Doganova (CSI)
7 février 2025, 11h-13h
Terres, mines, futurs, avec Tobias Olofsson (Université de Lund) et Gisa Weszkalnys (LSE) (séance PEPR Anticip)
7 mars 2025, 11h-13h
Savoirs économiques et croissance, avec Vicky Kluzik (Goethe University Frankfurt) et Arnaud Orain (EHESS)
16 mai 2025, 11h-13h
Zone critique, avec Sébastien Dutreuil (Centre Gilles Gaston Granger) et Jérôme Gaillardet (Institut de Physique du Globe)
Sessions thématiques de l’année 2023-2024 : les sujets traités
Vendredi 27 octobre 2023, 11h-13h
Politiques des ressources renouvelables avec Camille Rivière et Antoine Fontaine
Vendredi 10 novembre 2023, 11h-13h
Valorisations de la forêt avec Charlotte Glinel et Nelly Parès
Vendredi le 1er décembre 2023, 11h-13h
Terres et propriété avec Alexander Dobeson et Lise Cornilleau
Mardi 12 décembre de 15h à 17h (salle L106)
Séance exceptionnelle : Kristin Asdal et Tone Huse présenteront leur livre « Nature-Made Economy: Cod, Capital, and the Great Economization of the Ocean » (The MIT Press, 2023) ; Clément Foutrel (CSI) et Baptiste Parent (CIRED) introduiront la discussion avec les auteurs.
Vendredi 19 janvier 2024, 11h-13h
Compensation carbone avec Kamilla Karhunmaa et Céline Granjou
Vendredi le 1er mars 2024, 11h-13h
Futurs souterrains avec Magdalena Kuchler et Bård Lahn
Vendredi 29 mars 2024, 11h-13h
Modèles et biodiversité avec Mathilde Salin et Klaudia Prodani
Vendredi 17 mai 2024, 15h-17h
Adaptation au changement climatique avec Ian Gray (en visio) et Leigh Johnson. Séance co-organisée avec le Centre Alexandre Koyré.
Sessions thématiques de l’année 2022-2023 : les sujets traités
Jeudi 24 Novembre 2022, 16h-18h
Compensation environnementale, Benoît Dauguet (CAK) et Fanny Guillet (CESCO, MNHN)
Jeudi 2 février 2023, 11h-13h
Transitions et planifications énergétiques, Antoine Missemer (CIRED) et Daniela Russ (University of Toronto, Universität Leipzig)
Jeudi 16 mars 2023, 11h-13h
Agir sur le carbone, Stéphanie Barral (INRAE, LISIS) et Alice Valiergue (Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, CSO)
Vendredi 31 mars 2023, 14h-16h
Vaches, François Thoreau (SPIRAL) et Bregje van Veelen (Lund University)
Jeudi 11 mai 2023, 11h-13h
Géoingénierie, Sébastien Chailleux (Centre Emile Durkheim-UMR5116, Sciences Po Bordeaux) et Andreas Folkers (Justus-Liebig-Universität Giessen)
Équipe organisatrice
Béatrice Cointe est chargée de recherche CNRS au Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI). Ses travaux explorent les interactions entre production de connaissances, problème environnementaux et organisation de l’économie. Elle étudie actuellement la production des scénarios climatiques et énergétique, et la façon dont les conceptions de l’économie qui les sous-tendent cadrent le problème climatique. Auparavant, elle a travaillé sur l’émergence des technologies, des marchés et des politiques des énergies renouvelables, ainsi que sur la bioéconomie norvégienne. Avant d’intégrer le CSI, elle a travaillé comme doctorante puis post-doctorante au Centre International de Recherche sur l’Environnement et le Développement (CIRED), à Aix-Marseille Université et au TIK Centre for Technology, Innovation and Culture à l’Université d’Oslo.
Kewan Mertens est chercheur post-doctorant Marie-Curie au Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI). Son projet de recherche, intitulé « NatUVal – Ouvrir la boîte noire de l’évaluation de la nature » questionne la façon dont l’évaluation environnementale façonne les rôles et les relations entre les acteurs associés à la gestion des parcs naturels. Kewan vise à étudier comment les outils de gestion et d’évaluation, comme le zonage du territoire et l’usage d’indicateurs environnementaux, sont mobilisés autour de différentes réserves Unesco. Avant d’intégrer le CSI, Kewan a fait une thèse sur les stratégies de réduction des désastres en Ouganda. Il a ensuite proposé de réinterpréter la façon dont la géographie peut appréhender les désastres.
Alexandre Violle est chercheur post-doctorant au Centre de Sociologie des Mouvements Sociaux de l’EHESS. Son projet de recherche actuel, soutenu par une bourse IFRIS, porte sur l’expertise climatique des banquiers centraux en Europe. Ses intérêts de recherche se situent à la croisée de la sociologie économique, de la sociologie politique et de la sociologie des sciences et des techniques. Il a étudié à travers différents terrains (régulation bancaire, politiques énergétiques) les façons dont des savoirs issus de la finance transforment les formes de l’action publique française ou européenne.
Références bibliographiques
Asdal, K., Cointe B., Hobæk B., Reinertsen H., Huse T., Morsman S., and Måløy T. (2021). ‘The good economy’: a conceptual and empirical move for investigating how economies and versions of the good are entangled. BioSocieties, online first.
Birch, K. (2019). Neoliberal Bio-Economies? The Co-Construction of Markets and Natures. Palgrave MacMillan Cham.
Bracking, S., Fredriksen, A., Sullivan, S., & Woodhouse, P. (Eds.). (2018). Valuing development, environment and conservation: creating values that matter. Routledge.
Callon, M. (2009). Civilizing markets: Carbon trading between in vitro and in vivo experiments. Accounting, organizations and society, 34(3-4), 535-548.
Chiapello, È., Missemer, A., & Pottier, A. (Eds.). (2021). Faire l’économie de l’environnement. Presses des Mines
Cointe, B., Cassen, C., & Nadai, A. (2019). Organising policy-relevant knowledge for climate action: integrated assessment modelling, the IPCC, and the emergence of a collective expertise on socioeconomic emission scenarios. Science & Technology Studies.
Dalmedico, A. D., & Aykut, S. C. (2015). Gouverner le climat: 20 ans de négociations internationales. Presses de Sciences Po.
Doganova, L. (2014). Décompter le futur: La formule des flux actualisés et le manager-investisseur. Sociétés contemporaines, 93, 67-87.
Ehrenstein, V., & Neyland, D. (2021). Economic under-determination: industrial competitiveness and free allowances in the European carbon market. Journal of Cultural Economy, 14(5), 596-611.
Evenden, M. D. (1995). The Laborers of Nature: Economic Ornithology and the Role of Birds as Agents of Biological Pest Control in North American Agriculture, ca. 1880–1930. Forest and Conservation History, 39(4), 172–183. https://doi.org/10.2307/3983958
Foster, J. B. (2000). Marx’s ecology: Materialism and nature. NYU Press.
Fourcade, M. (2011). Cents and sensibility: Economic valuation and the nature of “nature”. American journal of sociology, 116(6), 1721-77.
Laurent, B., & Mallard, A. (Eds.). (2020). Labelling the Economy. Palgrave Macmillan.
MacKenzie, D. (2009). Making things the same: Gases, emission rights and the politics of carbon markets. Accounting, organizations and society, 34(3-4), 440-455.
Vatin, F. (2008). L’esprit d’ingénieur : pensée calculatoire et éthique économique. Revue française de socio-économie, 1(1), 131-152.