Titre de la thèse : Les zones en réseaux. De Monaco à Monastir, enquête sur les connexions transnationales des aires marines protégées en Tunisie.
Sous la direction de Fabian Muniesa et Béatrice Cointe
Les aires protégées, qu’elles soient marines ou terrestres, se sont imposées comme l’instrument phare des politiques de protection de la biodiversité au niveau mondial. Selon la définition classique de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), l’aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autre, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». L’aire protégée apparaît donc comme un dispositif spatial, un zonage. Le cas des aires marines protégées (AMP) en Tunisie remet en question cette définition caractérisant l’aire protégée, avant tout, comme un périmètre géographique défini. En Tunisie, aucune AMP n’a encore officiellement été décrétée et aucun texte juridique ne vient fixer leur périmètre. Pourtant, des zones sont bien financées par des bailleurs de fonds internationaux, des équipes de cogestion y sont mises en place, des suivis scientifiques et des actions de monitoring d’espèces réalisés. À rebours des « parcs de papier » souvent décriés, les AMP en Tunisie s’apparentent davantage à des « aires sans papier ». Cette thèse doctorale s’attache à répondre à la question suivante : comment des zones dont les périmètres ne sont pas définis sont-elles rendues gouvernables ? En mettant en dialogue la géographie et l’anthropologie de la conservation avec la sociologie de la traduction, la thèse montre qu’il faut considérer ces zones comme des réseaux. Ces réseaux sont constitués à la fois d’acteurs humains et institutionnels (bailleurs de fonds de pays du Nord, acteurs de la coopération, bureaux d’étude, ONG, organisations intergouvernementales) et d’entités non-humaines (espèces animales, base de données, plans de gestion, documents de reporting, etc.) qui circulent dans des espaces transnationaux, s’assemblent et finissent par faire des AMP tunisiennes des réalités tangibles et gouvernables. À partir d’une enquête multisituée menée auprès des « professionnel·les de la nature » impliqué·es dans le développement des AMP tunisiennes et méditerranéennes – gestionnaires de terrain, agence du littoral, bailleurs de fonds, bureaux d’études – la thèse revient sur plusieurs technologies et instruments qui permettent de rendre les AMP gouvernables : développement de la « cogestion », de financements « durables », médiations spectaculaires de la tortue marine, réalisation d’études naturalistes ou encore élaboration d’une base de données des AMP méditerranéennes. La thèse qualifie de « diplomatique » le travail que requiert le déploiement de ces instruments : ces derniers engagent à la fois une « science des négociations » afin d’élaborer un langage partagé entre des entités variées et une géopolitique, les AMP, zones de la marge, étant prises dans des dynamiques d’appropriation du territoire.