Interview de Vololona Rabeharisoa
Vololona Rabeharisoa est membre du Groupe de réflexion avec les associations de malades (GRAM) de l’Inserm. Elle propose un regard sur sa participation à ce groupe de réflexion.
Le GRAM est une instance de consultation créée au sein de l’Inserm, dont la mission est de réfléchir aux orientations stratégiques et aux actions qui pourraient être développées par l’Inserm en faveur d’une politique de dialogue et de partenariat avec les associations de malades. Les réflexions sont menées par un groupe composé pour moitié de représentants d’associations de malades, de personnes handicapées et de leurs familles et pour moitié de professionnels de la recherche, chercheurs et représentants de l’Inserm.
De quelle manière envisagez-vous votre participation au GRAM ?
Participer aux travaux du GRAM est une activité qui demande un engagement. Au moment où j’ai été sollicitée pour rejoindre ce groupe, j’ai accepté parce qu’il me semblait que le GRAM était un lieu intéressant pour se tenir au courant des questions que se posent les associations et que se pose une institution comme l’Inserm. Si je considère ce groupe comme un lieu d’engagement c’est parce que participer aux réflexions qu’il mène n’est pas un travail dans lequel on s’engage si on n’est pas un tant soit peu convaincu de l’intérêt que représentent les collaborations entre les chercheurs et les institutions de la recherche et les associations pour la recherche elle-même. Un des intérêts est de travailler aux côtés d’associations actives et exigeantes, qui font des propositions qui concernent très largement les acteurs de la recherche et de la santé, bien au-delà des groupes de malades qu’elles représentent.
Le GRAM est un endroit où on insuffle une prise de conscience, où on cherche à inciter à penser un peu différemment la recherche. Les objectifs actuels sont de continuer à transformer la relation entre la société civile et la recherche, et pour s’atteler à cette tâche il faut y croire.
Mon engagement est une suite logique de la façon dont on travaille au CSI. Elaborer autour de questionnements partagés est une démarche que nous avons suivie tout au long du programme de recherches mené au CSI depuis de longues années sur l’engagement des associations dans la recherche. Ce type d’engagement scientifique est une incarnation de notre façon de faire de la recherche. Pour autant, je n’envisage pas ma participation au GRAM de la même manière qu’une participation à un conseil scientifique. Le GRAM est plutôt un lieu de militantisme et y participer répond à une envie de promouvoir des choses nouvelles dans le fonctionnement de la recherche. Je n’y suis pas en expert. Je suis impliquée, intéressée aux changements, sensible à ce que tout ceci conduise à des innovations institutionnelles.
Récemment, le GRAM a lancé une enquête auprès des chercheurs de l’Inserm sur leurs collaborations éventuelles avec des associations. Dans quelle perspective le GRAM a-t-il lancé l’enquête CAIRNET ?
Jusqu’à présent, les travaux du GRAM avaient comme perspective de montrer que les associations ont des connaissances utiles à la recherche. Les partenariats et les collaborations entre chercheurs, institutions de recherche et associations concernent un spectre très large de la recherche, qui va de la recherche fondamentale à la recherche clinique. L’apport des associations est loin de se limiter au financement de recherches. Les associations offrent des connaissances et une expérience. Elles ont la capacité d’influer sur l’organisation du travail de recherche. La compétence associative a été au centre d’une large part des réflexions et des propositions du groupe, mais avec ce constat que le milieu scientifique est assez peu au fait du milieu associatif.
Depuis deux ans, le GRAM a entrepris de mener une réflexion symétrique sur le milieu de la recherche. Quelle vision les chercheurs ont-ils des associations, de leur rôle dans la recherche, de leur apport ? Quelles sont les expériences de collaboration entre chercheurs et association ? Comment ces expériences se renouvellent-elles ? Pour répondre à ces interrogations, le GRAM a décidé de s’adresser aux chercheurs, cliniciens et doctorants de l’Inserm par la voie d’une enquête. CAIRNET comprenait deux volets, une enquête par questionnaire électronique et une série d’entretiens qualitatifs. En soulevant ces questions, l’objectif à moyen terme du GRAM est de convaincre l’Inserm que la recherche et les chercheurs ont beaucoup à gagner à entreprendre avec les associations et à pérenniser les collaborations.
Les premiers résultats de l’enquête CAIRNET ont été présentés en Janvier dernier à l’occasion d’un colloque, qui faisait partie de la série de colloques organisés tous les deux ans par le GRAM au Sénat ou au Parlement sur les problématiques touchant aux relations entre associations de malades et recherche.
Le message essentiel que l’on peut tirer de ces résultats est que les chercheurs qui collaborent, ou ont collaboré avec des associations, en ont une expérience positive. Ce constat va à l’encontre de bon nombre d’idées reçues. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les contacts entre chercheurs et associations sont loin de se limiter aux grandes associations comme l’AFM ou Vaincre la mucoviscidose et s’étendent à de nombreuses petites associations, dont une partie s’occupe de maladies rares. Plus de 400 associations ont été citées par les 650 chercheurs et cliniciens qui ont répondu à l’enquête. On perçoit clairement que les collaborations se nouent indépendamment d’un apport de financement. Il ressort de l’enquête que, pour la majorité des chercheurs, s’impliquer auprès d’une association ne limite pas la liberté scientifique d’un chercheur. Les contributions issues de ces collaborations se déclinent sur un mode très varié. Cela peut aller d’une contribution à la formulation de projets, au fait que les contacts agissent sur l’envie des chercheurs de développer des projets. L’enquête montre que la construction de relations de confiance est un élément central de ces collaborations.
D’après vous, quel est le principal apport, pour la recherche, des investigations sur les collaborations entre chercheurs et associations ?
Démontrer qu’au-delà de leurs intérêts particuliers, les associations peuvent être les médiateurs entre le monde des décideurs et de la recherche. L’expérience qu’ont aujourd’hui les associations ne se limite pas à celle sur leur maladie – celle-ci est essentielle, elle permet de parler en connaissance de cause – mais porte aussi sur le fonctionnement des systèmes de recherche et de santé. Les associations de malades agissent en mobilisant des compétences fondées sur une connaissance de problèmes qui ne sont pas spécifiquement les leurs, notamment ceux qui sont liés aux cloisonnements de la recherche du point de vue des disciplines et des institutions, ou aux oppositions entre clinique et recherche fondamentale. Elles sont des lieux où se développent des réflexions qui peuvent conduire les chercheurs à envisager des façons de collaborer différentes. De mon point de vue, les associations sont en position d’exprimer des préoccupations partagées et de les faire remonter pour que des actions soient mises en œuvre.
Le positionnement des associations à l’égard de la recherche comprend une double composante, dont l’idée de médiation permet de rendre compte. D’une part, loin de rester focalisée sur des intérêts particuliers, la forme d’engagement des associations se fait autour d’enjeux qui concernent l’ensemble des parties prenantes du développement de la recherche. D’autre part, en mettant en avant des préoccupations communes liées à la recherche, les associations interrogent les conditions mêmes du développement des politiques scientifiques et de santé. Cette médiation est à prendre en considération dans les réflexions en cours sur la gouvernance et la production de la recherche et des dispositifs de santé.
Photo : Inserm, E. Begouen