Sols mouvants. A. Halauniova (Sciences Po, CSO) et L. Manach (CAK)


Le séminaire « Expertises économiques et actions environnementales » accueillera

Anastasyia Halauniova et Laure Manach


Sols mouvants


Cette séance se penchera sur les sols en tant que socle mouvant des activités humaines, aujourd’hui altéré par le changement climatique. De la fonte du pergélisol au devenir du carbone stocké dans les sols, comment retrace-t-on et anticipe-t-on les transformations des sols ? Comment compose-t-on avec eux comme supports des politiques territoriales autant qu’atmosphériques ?

Anastasyia Halauniova (Sciences Po, CSO)
Faire durer l’éternité : les savoirs, la fonte du pergélisol et la stabilisation de la vie dans l’Arctique Russe

Qu’advient-il quand la terre sur laquelle se déroule la vie (économique) n’est plus stable ? Pour répondre à cette question, je m’intéresse au pergélisol – un phénomène géologique où le sol reste gelé pendant des années, mais qui fond à une échelle sans précédent du fait de l’augmentation de la température de l’air. La fonte du pergélisol provoque des dégâts de toutes sortes, endommageant les infrastructures et libérant dans l’atmosphère les gaz à effet de serre qui y avaient longuement été stockés : une menace à la fois locale et globale. En s’appuyant sur des archives et sur une enquête ethnographique auprès des scientifiques et praticiens russes du pergélisol, cette présentation explorera le rôle de l’expertise sur le pergélisol soviétique puis russe dans le développement territorial et la gouvernance environnementale. Elle retracera d’abord l’émergence des sciences du pergélisol en Union Soviétique – un état dont 65% du territoire était recouvert de pergélisol – en réponse aux défis techniques et économiques auxquels furent confrontés les constructeurs et les ingénieurs qui mettaient en œuvre les plans d’état de colonisation et industrialisation de l’Arctique. Elle analysera ensuite les hypothèses qu’avaient ces scientifiques et ingénieurs du pergélisols sur la nature et la temporalité du phénomène, notamment l’idée que la terre gelée était une présence dynamique mais durable – ce que j’appelle « éternalisme stratégique ». Enfin, elle examine un changement récent dans la compréhension politique du pergélisol, qui n’est plus vu comme une fondation stable mais reconnu comme une surface potentielle instable – une transition que j’appelle « non-éternalisme stratégique ». Cette présentation mettra ainsi en évidence la façon dont les scientifiques et les praticiens sur pergélisol négocient deux attentes contradictoires : d’une part, la simplification des processus du pergélisols à des fin de planification économique, et d’autre part, la reconnaissance de sa dynamique et de son instabilité intrinsèques. En se penchant sur le pergélisol, cette présentation historicisera et spécifiera les préoccupations autour des « sols mouvants », à rebours d’une tendance à envisager la fonte du permafrost comme une rupture apocalyptique ; elle propose une vision située des modes d’engagements avec un rythme du gel et du dégel orchestré par l’extractivisme et les aspirations coloniales de l’Etat.

Laure Manach (Centre Alexandre-Koyré)
Le futur du carbone du sol sur une planète qui se réchauffe. Le rôle des scientifiques dans la constitution des sols comme puits ou sources de CO2

Les politiques climatiques visent à équilibrer le « budget carbone » de la planète, en particulier en augmentant la capacité d’absorption des puis de carbone tels que la biopshère, les océans et les sols. Le sol est parmi les puits de carbone les plus important qui puissent être optimisés. Sur ce sujet, la France a joué un rôle moteur en lançant l’initiative « 4 pour 1000 » à la COP21 en 2015. Cette initiative promeut des pratiques de gestion permettant le stockage de carbone dans les sols. Les sols sont depuis au cœur d’une promesse : celle d’apporter une contribution d’ampleur à la lutte contre le changement climatique. Cependant, un nombre croissant de scientifiques insistent sur le risque que les sols deviennent en fait une source de carbone sous l’effet du réchauffement climatique. Comment deux visions si différentes des sols dans un climat changeant peuvent-elles coexister aujourd’hui ? En m’appuyant sur une enquête sur les sciences et les savoirs des cols en France et à l’étranger, j’explorerai ces affirmations sur le futur du carbone des sol, et montrerai qu’elles ont leurs racine dans des communautés de recherche distinctes, amenant à des anticipations différentes.



Anastasyia Halauniova est une sociologue biélorusse, spécialiste de l’environnement urbain. Elle étudie les perturbations profondes que subissent les villes et leurs habitants, qu’il s’agisse de l’annexion par l’État, de la guerre ou des crises environnementales. Ses travaux portent sur des lieux que nous qualifions habituellement de postsocialistes, où elle suit les tentatives sans répit des citadins pour maintenir et améliorer des environnements bâtis qui se dégradent symboliquement ou matériellement. Ses travaux actuels portent sur le rôle central de la fonte du pergélisol dans la vie urbaine des régions arctiques. Elle mène une étude historique et ethnographique des implantations russes et norvégiennes au Svalbard afin de retracer l’histoire de lieux qui à présent ne peuvent plus compter sur la permanence d’un sol arctique stable et gelé.

Laure Manach est doctorante au CAK – Centre Alexandre-Koyré  – EHESS, où elle prépare une thèse intitulée Enquête sur les reconfigurations des sciences des sols à l’heure du changement climatique. Cette recherche comprend trois grands ensembles d’objectifs de recherche : (i) retracer l’histoire récente des sciences du sol, en incluant le rôle de développements technologiques et d’infrastructures tels que la cartographie et les modèles numériques ; (ii) analyser le sens de ces évolutions et à la manière dont elles reconfigurent le rôle et les identités professionnelles des chercheurs et experts dans ces domaines ; (iii) rendre compte de l’évolution des sciences du sol vers une science règlementaire permettant de fonder des décisions dans les secteurs publics et privés, à l’aide du développement d’outils de mesure et de standards pour rendre compte du potentiel stockant des sols.


Infos et inscription

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Seminaire-Economie_Environnement_Image-150x150.jpg.


Date : Vendredi 4 avril 2025, 11h-13h

Lieu : École des Mines, 60 boulevard Saint Michel, 75006 Paris, salle Chevalier.

Une transmission par visioconférence est également prévue. Le lien sera transmis sur inscription juste avant le séminaire.

Le séminaire est ouvert à tous. Pour participer au séminaire, merci de vous inscrire ici.


Contact : Béatrice Cointe, Kewan Mertens ou Alexandre Violle


En savoir plus sur les attendus et le programme du séminaire



Crédit photo : Anastasyia Halauniova (Sciences Po, CSO)
Crédit photo : Laure Manach (Centre Alexandre-Koyré)