Incertitudes scientifiques et renouvellement de la vie démocratique

Le travail de Michel Callon a abondamment inspiré les initiatives portées par l’Observatoire pour l’innovation responsable de Mines ParisTech et, plus largement, les discussions contemporaines sur risque et responsabilité en innovation. Dans le texte “Les incertitudes scientifiques et techniques constituent-elles une source possible de renouvellement de la vie démocratique ?” (2012, CSI Working Papers Series, 028 ; 2012, I3 Working Papers Series, 12-MS-06) Michel Callon développe deux notions utiles pour reformuler le problème de l’innovation responsable : incertitude ontologique et site de problématisation. Quelques extraits saillants :

“Les sciences et les techniques, de manière complémentaire, amènent à l’existence, à une existence cadrée et en partie contrôlable, des entités qui n’avaient encore jamais existé, sous la forme qu’elles revêtent au moment où elles sont prêtes à sortir des laboratoires ou des bureaux d’ingénierie. […] Envisagées selon cette perspective, les activités scientifiques et techniques sont une source intarissable d’entités nouvelles ou d’êtres nouveaux, et que la cadence de leur production s’est à ce point accélérée que l’on peut parler d’une véritable explosion démographique à côté de laquelle celle des êtres humains fait pâle figure. […] Parce qu’ils entrent constamment dans de nouvelles associations, dans de nouvelles relations, ces êtres n’arrêtent pas de changer d’identités : exister c’est déborder. Ce sont ces débordements inévitables et imprévisibles que désigne la notion maintenant largement admise d’incertitude ontologique.” (p. 5-6)

“Cette montée en puissance des incertitudes ontologiques et la manière dont les marchés, les activités scientifiques et les processus de décision politique participent à leur fabrication, montrent les limites des conceptions qui tendent à considérer les incertitudes comme des phénomènes résiduels, comme une sorte de voiture‐balai qui ramasse tout ce qui n’est pas pris en charge par le calcul des risques. Non, les incertitudes ontologiques ne sont pas résiduelles.” (p. 14)

“Brice Laurent étudie les sites de problématisation des nanotechnologies, c’est‐à‐dire tous les lieux où l’identité des nanotechnologies, ce qu’elles sont et ce qu’elles font, est discutée, argumentée, débattue, testée. La liste de ces sites, où se fabriquent jour après jour de nouvelles incertitudes ontologiques, est longue. […] D’un site à l’autre, nous dit Brice Laurent, tout peut varier : la définition des nanos, leurs caractéristiques, ce à quoi elles peuvent servir, les problèmes qu’elles posent, les promesses qu’elles contiennent ou les catastrophes dont elles sont porteuses. Dans chaque site, ces différentes questions et préoccupations sont exprimées par des groupes concernés particuliers. Chaque site de problématisation peut être ainsi décrit comme un assemblage singulier de groupes, de substances, de problèmes, de mondes sociotechniques projetés ou imaginés. […] Il n’y a pas d’un côté des objets mis à la question et de l’autre côté des projets inquiets ou impatients, mais une élaboration conjointe des uns et des autres.” (p. 15)

Michel Callon se réfère dans cet extrait aux travaux de Brice Laurent, membre de l’Observatoire pour l’innovation responsable, sur démocratie et nanotechnologie. Le texte correspond à la conférence introductive au XIXe Congrès de l’AISLF (Association internationale des sociologues de langue française) organisé à Rabat en juillet 2012 sur le thème “Penser l’incertain”.

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