Prix TTI.5 de la meilleure étude d’une controverse environnementale


« Betteraves, oiseaux et néonicotinoïdes », meilleure étude de

cas du cours Description de controverses

sur une thématique environnementale


The Transition Institute 1.5 a organisé le 31 mai 2023 à la Maison de l’Océan à Paris la 1ère édition du Prix TTI.5 de la controverse environnementale. Ce prix récompense la meilleure étude d’une controverse portant sur une thématique environnementale parmi les travaux réalisés par les élèves du Cycle Ingénieur Civil de Mines Paris–PSL. Les études sont réalisées dans le cadre du cours Description de controverses coordonné par Madeleine Akrich, sociologue et directrice de recherche au Centre de sociologie de l’innovation (CSI).

TTI.5 1er Forum, 31 mai 2023 © Frédérique Toulet

Le groupe lauréat composé de Sylvain Caillaud, Arsène Ferrière, Grégoire Michel, Léopold Moeneclaey, Aymeric Plessier, Joseph Redaud, Victoire Rossignol et Maud Roux-Salembien a été récompensé pour son étude intitulée « Betteraves, oiseaux et néonicotinoïdes. To bee or not to beet?  ». Cette étude porte sur la controverse faisant suite aux dérogations accordées dans l’usage des néonicotinoïdes pour la culture betteravière.

Suite aux alertes sur la dangerosité des néonicotinoïdes pour l’environnement, leur interdiction est votée en 2018. Elle est effective à partir de 2020, mais une modification de la loi permet des dérogations pour la culture de betterave, si nécessaire jusqu’en 2023.

L’année de l’interdiction des néonicotinoïdes, un grand nombre de champs sont touchés par la jaunisse et les rendements diminuent. L’étendue des dégâts subis par la filière betterave-sucre fait débat, ainsi que la responsabilité de l’interdiction des néonicotinoïdes dans cette ‘’crise de la jaunisse’’. Tous les acteurs constatent qu’il est très difficile d’estimer le risque d’occurrence de la jaunisse. La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) y voit une raison de protéger les agriculteurs face à l’incertitude économique, tandis que cette incertitude est présentée comme un motif de préservation des écosystèmes par les associations de défense de l’environnement. Les opposants à la dérogation avancent que les principales causes de la crise sont le manque de recherche d’alternatives par la filière et la concurrence internationale, plutôt que l’interdiction des néonicotinoïdes.

Matthieu Mazière, Maud Roux-Salembien, Madeleine Akrich et Nadia Maïzi © Frédérique Toulet

La légitimité de la dérogation est surtout examinée à la lumière des alternatives aux néonicotinoïdes. Pour la culture de betterave, bien que les alternatives existent, leur efficacité ainsi que leur caractère opérationnel au moment de l’interdiction ne font pas consensus.

Face à une dérogation qui ne satisfait complètement aucun acteur, tous se renvoient la faute et attaquent la légitimité de chacun. Le processus de décision est mis en cause, en particulier l’homologation des substances, dans lequel les opposants aux néonicotinoïdes soupçonnent des conflits d’intérêts. Il est intéressant de noter la grande diversité d’acteurs mobilisés et des liens qu’ils entretiennent dans les sphères de décisions de la controverse.

Le prix a été remis lors du 1er Forum TTI.5 Enjeux sécuritaires des changements climatiques”, par Matthieu Mazière, Directeur des études chargé du Cycle Ingénieur Civil à Mines Paris-PSL.


Les projets d’étude de controverses à Mines Paris – PSL

Les élèves de troisième année du Cycle Ingénieur Civil de Mines Paris – PSL suivent dans leur cursus le cours Description de controverses. Ce cours a pour objectif de sensibiliser les élèves ingénieurs à l’évolution de leur contexte professionnel et civique. Il s’agit de les introduire à l’univers incertain de la recherche scientifique et technique en procédant à la description d’un objet : la controverse sociotechnique.

Cet exercice a été proposé d’abord par Michel Callon, puis par Bruno Latour et n’a cessé d’évoluer depuis l’origine. Il prend sa source dans les Science and Technology Studies, qui ont développé l’idée selon laquelle, pour comprendre ce en quoi les sciences et les techniques participent de la construction du monde social, il faut se placer dans des situations et à des moments où tout n’est pas stabilisé et où ces relations science/ technique et société sont en débat.

Pourquoi un enseignement autour des controverses, notamment auprès des futurs ingénieurs ?

Il s’agit d’abord de leur faire comprendre que les dispositifs techniques ne sont pas des réponses « neutres » à des problèmes qui seraient définis de manière « objective ». Un dispositif technique est porteur d’une définition de l’environnement, au sens large, sans lequel il est supposé prendre place, des besoins ou des demandes auxquels il répond, des capacités des utilisateurs, des formes de relation entre différents acteurs économiques, etc. Un certain nombre de ces éléments peuvent d’ailleurs être invisibles aux promoteurs de ces dispositifs et n’émerger que dans les débats suscités par la controverse. En bref, il s’agit de faire comprendre que chercheurs et ingénieurs ne sont pas en dehors des débats mais bien « engagés » de par les choix qu’ils font sur les sujets de recherche ou sur la conception de dispositifs.

Il s’agit ensuite de leur faire prendre conscience du caractère crucial de la définition des problèmes : dans les controverses et notamment dans les controverses environnementales, les débats sur ce qui constitue les questions à traiter sont particulièrement vifs. Faut-il continuer à assurer aux agriculteurs irrigants la disponibilité en eau grâce à la construction de réserves de substitution appelées aussi mégabassines, ou faut-il transformer l’agriculture pour la rendre résiliente face au changement climatique ? On voit bien que la manière de poser le problème conditionne en partie la nature des réponses envisageables.

Enfin, il s’agit de leur montrer que les « experts » reconnus n’ont pas le monopole de la pertinence : face à des questions complexes, multidimensionnelles, les citoyens, les militants peuvent mettre en évidence certains problèmes, apporter de nouvelles connaissances, proposer des alternatives.

En bref, les controverses ne sont pas une aberration sociale mais bien souvent un moyen de faire progresser à la fois les connaissances et la démocratie technique.

Pour remplir ce programme, les sujets qui sont proposés aux élèves présentent les caractéristiques suivantes : une controverse en cours, portant sur un sujet ciblé (par exemple : pas « les OGM » mais « les problèmes soulevés par l’autorisation de culture d’une pomme de terre transgénique qui suscite une controverse dans une période et sur un territoire précis »), impliquant une diversité de protagonistes (scientifiques, experts, juristes, institutionnels, parlementaires, associations, etc.), pour laquelle sont disponibles diverses sources d’information (presse généraliste, presse scientifique, presse professionnelle, forums de discussion, blogs, sites web, rapports parlementaires, etc.).

L’étude de controverse consiste en une étude de cas. Un groupe d’élèves suit une controverse en temps réel, pour en découvrir la complexité, la singularité. L’encadrement est assuré par une équipe de sociologues spécialisés dans l’analyse des sciences et des techniques, qui accompagnent les élèves dans le développement d’un point de vue empirique pragmatique et argumenté.

Les 5 projets nominés pour le Prix TTI.5 de la controverse environnementale

Le prix a été décerné au meilleur projet, sur vote du public, après une présentation des 5 projets nominés lors du 1er Forum TTI.5 “Enjeux sécuritaires des changements climatiques”.Ces 5 projets sont ceux qui parmi les études de controverses portant sur des thématiques environnementales avaient reçu les meilleures notes à l’écrit, témoignant ainsi de leur profondeur d’analyse.

« Betteraves, oiseaux et néonicotinoïdes » par Sylvain Caillaud, Arsène Ferrière, Grégoire Michel, Léopold Moeneclaey, Aymeric Plessier, Joseph Redaud, Victoire Rossignol et Maud Roux-Salembien

« L’éolien en mer : atout essentiel de la transition énergétique ou nuisance inutile ? » par Matthias Avice, Cynthia Balech, Maëlle Baronnet, Myrtille David, Shuyu Ding, Xinbei Jang, Louis Pont et Matthieu Suire

« Le déclin des insectes, une réalité inquiétante ? » par Jorge Luis Ardila Villabona, Jeremy Costanzo, Candice Courbière, Antoine Gauchot, Jeanne-Marie Hays, Sophie Laperrouze, Stephen Piet et Léo Simplet

« La réforme de l’assurance des récoltes en France. Quels enjeux et débats autour de la loi du 22 mars 2022 ? » par Damien Caperaa, Jean Catry, Jean Baptiste Flieller, Pierre Frode, Loïc Fouquet, Corentin Hennion, Thomas Labro et Lucille Lacoste

« L’exploitation minière sous-marine, une nécessité pour la transition ou un désastre écologique à venir ? » par Youmna Bahout, Timothée Blondel, Théophile Candela, Alice Dagicour, Quentin Guitet, Marine Papet, Maïlys Quilhot et Léa Trin


Tags :