Benjamin Lemoine lauréat du prix de thèse « Politiques publiques » décerné par l’Association française de science politique

 

Le prix de thèse Analyse des politiques publiques a été décerné à Benjamin Lemoine par l’Association Française de Science Politique lors d’une cérémonie organisée le B_Lemoine_PrixAFSP201310 juillet 2013, dans le cadre de son 12ème Congrès annuel, accueillie par l’Assemblée Nationale. Le prix de thèse remis tous les deux ans par l’AFSP grâce à l’appui financier de la Fondation Mattei Dogan vise à primer les meilleures thèses de doctorat en science politique. Benjamin Lemoine était récompensé pour la qualité de son travail de recherche mené au CSI sous la direction conjointe de Michel Callon et Yannick Barthe, Les valeurs de la dette. L’état à l’épreuve de la dette publique. Benjamin Lemoine résume ainsi la thèse.

Comment l’État est-il devenu l’objet d’un examen attentif de ses « passifs », de ses charges et de ses limites ?

La thèse répond à cette énigme en suivant les différentes épreuves de la construction de la dette comme problème public. Nous montrons par quelles médiations et au terme de quelles épreuves un certain mode de prise en compte, de calcul et de surveillance de la dette s’est imposé et a attaché la valeur (morale, technique et politique) de l’État à sa dette publique.

La première partie décrit le lent déclin d’un arrangement technique et politique au sein duquel la contribution de l’État, via sa direction du Trésor, à la création monétaire était l’une des composantes d’un projet tourné vers la croissance de l’activité économique. L’inflation était tacitement acceptée par l’administration comme une part maudite mais nécessaire. Peu à peu, certains hauts fonctionnaires, alliés à des acteurs financiers, identifient ces modalités de financement comme la cause essentielle du « problème » public du moment : l’inflation. Le recours à l’argent « extérieur », c’est-à-dire à l’épargne constituée, sous la forme du développement d’un marché dédié à l’emprunt d’État à moyen et long terme est conçu comme une « solution » au problème de la création monétaire « excessive » et comprise comme « inflationniste ». Les nouveaux serviteurs de l’État se font les traducteurs d’un mouvement international, importent en France des modèles et s’attaquent aux défenseurs de « l’ordre ancien ». C’est ainsi que la dé-légitimation administrative et politique de l’option « monétaire » participe de l’érosion d’un système international qui était tourné vers la coopération monétaire et le contrôle de la finance. À cette configuration succède une compétition entre États pour tenir son rang dans le marché international de l’emprunt.

Pour servir la cause du développement du marché obligataire, les innovations sur les techniques financières d’emprunt promues par les hauts fonctionnaires et soutenues par des cabinets ministériels convergent autour d’objectifs communs : le financement sur les marchés au meilleur prix. Avant d’être le symbole de dérives des finances publiques, celui-ci se présente plutôt comme le fleuron de la technique financière française. L’obtention d’un bon prix pour la dette et la stabilité de celui-ci constituent une marque de la grandeur de l’État, de la puissance publique et de la performance de ses hauts fonctionnaires. Élaboré dans des secteurs stratégiques de l’État, ce projet technique et politique et ce mode de financement sur les marchés se naturalise peu à peu efface les traces de ses origines. En effet, à partir des années 1990, cette histoire financière de l’État cède la place à une histoire budgétaire : l’origine de la dette tend à résider désormais dans le déficit et la dépense publics qu’il convient de contenir. Ce processus, qui aujourd’hui fait l’objet de controverses, a été longtemps soustrait à la discussion publique.

La seconde partie analyse donc la fabrication d’une inquiétude collective autour de la dette. La construction européenne place les valeurs financières des États au centre de l’attention publique. Un ensemble varié d’acteurs – comptables nationaux, hauts fonctionnaires européens, acteurs privés des marchés, journalistes et professionnels de la politique – fait du niveau des finances publiques un indicateur du maintien de la valeur de l’État. Le public de la dette s’élargit au delà du cercle restreint des opérateurs de marché intéressés à la souscription d’emprunts sécurisés, et des représentants politiques successifs font du contrôle de ces indicateurs comptables une préoccupation constante.

Peu à peu s’installe un gouvernement des finances publiques et de l’économie par les chiffres et les ratios comptables. Le souci du contrôle des charges implicites de l’État et du devenir des générations futures s’impose. Mais si la comptabilité nationale redevient un secteur stratégique des politiques publiques, ce n’est plus en tant qu’instance permettant le « pilotage » de l’économie mais plutôt en tant qu’agent principal de la surveillance des volumes des finances publique, et du maintien de la discipline sur le périmètre de l’État. Les instruments d’exploration comptable de la dette, pour alerter les responsables politiques et bureaucratiques des risques encourus par les dérapages budgétaires, s’alignent sur une comptabilité d’entreprise et recomposent les modes de valorisation comptable de l’État. L’État devient un être commun et faillible. De « solution » à l’inflation, la dette « moderne » est devenue peu à peu une contrainte avec laquelle la décision politique doit apprendre à composer.

Le consensus politique autour du rapport de la commission présidée par Michel Pébereau installe, en amont de la campagne électorale de 2007, l’objectif de traitement prioritaire de la dette publique. Mais le fait de consacrer une politique exclusivement dédiée à la réduction des « chiffres » de la dette publique et à la diminution « structurelle » de la dépense est l’occasion de galops d’essais et de « ratés » successifs. Au final, l’étude de ces processus, qui font aujourd’hui l’objet d’intenses débats, renseigne sur les modalités d’articulation entre décision politique et dispositifs techniques.

Sociologie de l’évaluation du risque financier souverain

Benjamin Lemoine a soutenu sa thèse de doctorat en décembre 2011 au CSI, Ecole des Mines de Paris. Le jury était composé de Philippe Bezes, Ève Chiapello, Alain Desrosières et Brigitte Gaïti. Il a effectué un post-doctorat de deux ans, à partir de janvier 2012, au Centre de Sociologie des Organisations (Sciences Po) et à l’IFRIS, sous la direction d’Olivier Borraz. Benjamin a poursuivi ses travaux dans le cadre d’une étude intitulée « Noter l’État. Sociologie de l’évaluation du risque financier souverain ». Mobilisant les STS et la sociologie politique du risque, cette étude a pour objectifs d’analyser, d’une part, la montée en puissance du rôle des agences de notation dans la définition du risque souverain, des politiques et des décisions économiques et, d’autre part, d’analyser l’évolution de ces instruments et la façon dont ils contribuent à spécifier différentes « natures » de risque : financier, comptable, économique et politique.

Benjamin Lemoine a été recruté comme chargé de recherche au CNRS à partir du 1er octobre 2013. A la rentrée universitaire 2013, il a rejoint l’Institut de Recherche Interdisciplinaire en Sciences Sociales (IRISSO)-UMR 7170, Université Paris Dauphine.

 

La thèse de Benjamin Lemoine Les valeurs de la dette. L’état à l’épreuve de la dette publique est accessible en ligne.